
Il y a fort longtemps de cela, un homme avait une femme et des enfants. Son monde était parfait, il travaillait durement et revenait le soir chez lui embrasser épouse et enfant. C'est le déroulement quotidien d'une vie que l'on qualifie de tout à fait normale, même encore à ce jour. Cependant, ce même homme, mon ancêtre en l’occurrence, ne s'attendait pas à rentrer un soir pour découvrir les corps inanimés de sa famille. Pas de sang, seulement des corps sans vie. Une teinte bleutée les recouvrait et la chaleur de cette nuit avait attiré des mouches. L'odeur de mort lui fut insupportable à tel point qu'il a vomi tripes et boyaux. Dans un coin de la pièce se trouvait un homme qu'il avait qualifiait d'enfant du démon. Ce dernier semblait épris de folie et sauta littéralement à la gorge de mon ancêtre pour se repaître de son sang, mais c'était sans compter la force que procure la haine, la vengeance et cette survie qui nous surprend dans les moments les plus désespérés. Avec la force de Dieu, mon ancêtre a réussi à tuer son assaillant qui n'était ni vivant, ni mort. Seule une folie sans nom se lisait dans ce regard qui ne voyait pas l'homme, mais la nourriture potentielle que représentait mon aïeul.
La suite est semblable à ce que l'on peut voir dans les films les plus tragiques. Un feu qui sert de tombeau et mon ancêtre qui s'en va, la haine et cette graine de vengeance bien ancrée dans son cœur. C'est ainsi que débuta la chasse. Celle qui touche et touchera toutes les générations de notre belle famille. Celle qui m'a touché au moment même où j'ai su marcher et parler. Ma mère ne me contait pas des histoires que d'autres ont pu entendre, mais c'est celle de mon ancêtre qui berçait mes jours et mes nuits. On ne nous épargnait pas les détails de ce moment qui reste aussi vif qu'au moment où tout ceci c'est produit. L'horreur, c'est un peu le fruit de notre éducation. Sois-y préparé pour pouvoir l'affronter et les choses se sont poursuivis.
Oh, bien sûr, je suis allé à l'école comme tout le monde, j'ai eu, en dehors de ça une vie parfaitement normale dans ma belle Syracuse. Sportif, populaire, extraverti, intelligent. J'avais la chance de nouer toutes ces qualités, mais j'avais également, comme la plupart des Italiens, une certaine arrogance et un sang terriblement bouillant résultat du mélange des gènes italiens et irlandais. J'dois bien le dire, je suis fier de mon héritage autant que de notre histoire. Elle fait partie de nous, dans les cellules de mon corps. J'ai reproduit à la lettre, la mission que l'on s'est donné de génération en génération.
Avoir peur de ce qui se cache dans la nuit et non pas avoir peur de la nuit elle-même. Les monstres et toutes ces choses qui dépassent les plus sceptiques d'entre vous, pour moi faisait parti du quotidien. Notre croyance était grande. Bien ou mal. Dieu et Diable. Anges ou Démons. Tout ce qui nous gouverne n'est pas forcément visible. Et nous, nous étions du genre à croire en l'impossible sinon, comment voulez-vous que l'on croie aux capacités qui sont les nôtres. Nous sommes peut-être physiquement pas égal aux vampires, mais nous avions développé notre propre tactique pour leur nuire. Au fil des siècles, avec une étude minutieuse et poussé, nous avons fini par réunir nombre de renseignements dans notre manuel de chasse. Chaque membre de la famille le développe pour pouvoir offrir la possibilité aux autres de survivre et de sauver les humains.
Ma vie, c'était ça, sauver les autres avant moi-même. J'avais beau jouer les salopards arrogants, le fêtard qui ne suit pas les règles, mais au fond, j'étais un chasseur toujours prêt à se sacrifier pour la cause. Cependant, je haïssais le fait de devoir s'oublier, de ne pas vivre pour être en alerte constante. On ne peut pas dire que les membres de famille aient un métier de grande importance. Nous étions en bas de l'échelle, en outre de devoir survivre pour voir le soleil se lever, nous devions survivre aux fins de mois difficile. Je sais me contenter de peu. Je sais comment me débrouiller avec ce que j'ai, mais il était hors de question de faire un métier qui ne m'intéresse pas. J'ai toujours aimé les études et ma passion, c'était les anciennes civilisations et les langues mortes. J'avais un don pour apprendre facilement et retenir des informations concernant mes passions.
Je n'ai jamais eu de professeur particulier pour m'enseigner le Grecques ancien ou encore les hiéroglyphes. Suivre des cours de musique m'était impossible, bien trop cher pour mes parents même pour moi. Être serveur dans un café, guichetier au cinéma ou encore un employé dans un fast-food me permettait de m'offrir ce que les ados aiment. Mais c'est vrai que sur un coup de tête, je me suis acheté une guitare m'acharnant durant mon temps libre sur le net pour apprendre le solfège par moi-même et le moindre tutoriel que certain partagé sur la plateforme youtube. Je suis bon. Autant dans les études que la musique sans doute parce que je passe mon temps à chanter du Eros Ramazzotti. Cela me permet d'ouvrir mon cœur et ne pas oublier que moi aussi, je suis humain. Les miens oublient facilement de vivre et de le rester. A force de se plonger dans ces horreurs qui ne sont que pures vérités que l'on a découvert, on finit par perdre plus que l'on gagne.
J'ai connu plus d'enterrements que de naissances. Parfois, je me rendais à des enterrements dont les coupables étaient les vampires. Mais forcément, personne ne pensait que cela soit possible. On mettait souvent une raison logique à la mort, cependant, les miens avaient deviné que parmi les hautes sphères se trouvaient des vampires plus puissants que celui qui a pu attaquer mon ancêtre. Si parmi les humains, il y a une hiérarchie, nous avons su, au fil des générations prétendre sans douter une seule fois, que cela était de même pour eux.
On commençait à se méfier de bien des gens, de la police aussi. L'église était pour nous, une seconde demeure. La croyance est importante pour la plupart des Italiens et chaque année, on se faisait un devoir de se rendre au Vatican comme bien des visiteurs. Mais nous ne sommes guère bêtes, nous savons qu'eux aussi savent, mais se taisent. Probablement pour éviter un vent de panique parmi les humains. C'est compréhensible autant que c'est les mener à l'abattoir.
Un jour. Il suffit d'un seul jour pour que tout change. Que votre vie prenne un autre voie. La mienne fut plus que violente tout comme le jour où le volcan enseveli Pompéi sous un amas de cendre emprisonnant des vies, les figeant dans le temps. J'ai toujours été quelqu'un de très protecteur envers les miens surtout envers mon petit-frère. On avait beau se taquiner, mais c'était le petit miracle de la famille. Ma mère a eu tellement de mal à tomber enceinte après moi. Et sans qu'elle s'y attende Marwan est arrivé et moi, je suis passé de l'enfant unique au grand frère. J'aurais aimé avoir une petite sœur également, mais au fond, c'est mieux ainsi. Je me sentirais mal de laisser ma sœur grandir dans un monde pareil.
J'ai toujours pris soin de Marwan, je lui ai appris pas mal de chose parce que nos parents travaillaient beaucoup ou bien parce qu'ils étaient souvent en chasse. Moi, je me montrais à cheval sur les études avec lui, je voulais qu'il puisse en avoir autant dans la tête que les muscles, j'avoue que je lui ai un peu trop donné l'envie de faire la fête le traînant partout avec moi dans des pubs pour jeune. Je ne voulais pas qu'il soit un solitaire et qu'il regrette plus tard les choix qu'on impose généralement aux nôtres. Je suppose que papa m'en a voulu, mais les générations changent, ce n'est pas parce que nous choisissons de vivre que nous en oublions notre devoir. Je n'ai jamais oublié le mien tout autant que j'ai toujours crié haut et fort que je voulais faire de longues études et j'ai bossé dur pour obtenir ce droit et une bourse.
Cependant, un soir, mon frère s'est retrouvé en mauvaise posture avec un vampire. J'ai fait aussi vite que j'ai pu même s'il a bien tenu face à lui, j'ai pu éviter le coup fatal en surprenant le vampire. Je lui ai littéralement sauté dessus aussi enragé qu'un lion défendant les siens. C'est du haut d'une falaise que j'ai emporté le vampire sans pouvoir dire au revoir aux miens, mais heureux d'avoir pu sauver mon jeune frère. Je le lui ai déjà dit. S'il devait m'arriver quoi que ce soit, alors, il ne devrait pas s'en vouloir de quoi que ce soit. Je préfère mourir en sauvant que d'en perdre une.
Malheureusement, je n'ai pas abandonné les miens, mais aussi ma petite-amie de l'époque. Livia. Une brune au regard vert. J'y voyais de l'or par moment. Des formes à me faire frissonner à chaque fois que je l'avais dans mes bras. J'avoue ne pas avoir été le meilleur avec bien des femmes, mais elle, elle a su me dompter, à m'avoir au creux de ces mains sans doute, parce que Livia n'avait rien à envier aux autres. Timide et peu sûre d'elle, elle était à l'opposé de moi et c'est sans doute la première chose qui m'a plu chez cette femme. Elle aimait quand je lui parlais de mes études autant qu'elle adorait m'entendre jouer de la guitare. Quand je chantais, Livia me disait que j'avais une voix qui la faisait frémir. Moi, c'était son cœur qui me faisait trembler autant de peur que de bonheur.
Ce soir-là, quand j'ai sauvé mon frère, j'ai appris qu'elle était enceinte de trois semaines. Même si je souhaitais poursuivre mes études, il m'était impossible de l'abandonner, j'avais réfléchi et m'étais dit qu'entre elle et les études, c'est Livia que je choisirais. J'allais en parler avec mes parents, mais les choses ont trop dévié.
Je me suis laissé couler en tenant aussi fermement que je le pouvais ce vampire. Cherchant le moyen de le tuer sous les eaux. Mais au final, ce fut le contraire. C'est lui qui m'a eu et a fait de moi l'un des siens. Au début, ma plus grande peur, c'était de devenir l'une de ces choses, mais en reprenant conscience dans ce nouveau corps assoiffé qu'était le mien, ma peur, c'était de dire adieu à la femme que j'aime et l'enfant qu'elle portait. Ma famille également, mais j'étais fou amoureux et je ne pensais qu'à elle.
Ce vampire m'a rendu fou, me torturant voulant m'obliger à me repaître d'être innocent. Il m'a humilié en me donnant du sang dans une gamelle pour chien enchaîné à des chaînes en argent qui me brûlait la peau m'empêchant de bouger. J'ai jamais fléchi en buvant au cou d'une des victimes qu'il emmenait. Je préférais me nourrir en chien qu'en monstre.
Un soir, alors que je pensais que le vampire voulait en finir avec moi, un autre est arrivé pour le tuer. Je ne pourrais pas vous dire comment ça s'est déroulé, mais j'ai été honteux d'être sauvé par une créature que j'ai passé mon existence à pourchasser. À croire plus mauvaise que la peste. J'étais trop faible pour me défendre.
« Si tu veux en finir vas-y. J'suis prêt. »Voilà ce que je lui ai dit. Mais il ne l'a pas fait. Gabriel Crowlley m'a pris sous son aile, moi qui pourtant ne lui a pas rendu la vie facile. Aujourd'hui encore ça continue. Je ne suis pas le meilleur des dégénérés, mais je ne suis pas le pire non plus. Je suis un homme à l'honneur sans faille et à force d'apprendre de ce monde que je pensais connaître, je me suis rendu compte que les miens faisaient fausse route. Nous pourchassions des dégénérés. C'est l'un d'eux qui a assassiné la première famille de mon ancêtre.
En me sauvant la vie, Gabriel s'est rendu responsable de moi envers le sang-pur qu'il sert. Normalement, j'aurais dû mourir. Les dégénérés ne sont pas fait pour vivre, trop instable au bout d'un temps. Si je devais finir aussi fou que celui qui m'a créé, alors je veux qu'on me tue. Je n'ai pas envie de faire du mal à qui que ce soit. Je n'ai que 4 ans en tant que vampire, j'ai encore beaucoup de marge devant moi.
Le fait de vouloir garder le contrôle m'a poussé à vouloir devenir gardien. J'estime que leur entraînement me permettra d'obtenir quelque chose d'utile, de me rendre utile surtout. Ce n'était pas un mauvais choix. J'y ai noué des amitiés, formé des inimitiés aussi. On ne peut pas plaire à tout le monde non plus.
En venant sur Haima où une communauté humaines et vampires s'est formé sans que l'une ne soit au courant de l'existence de l'autre, j'ai dit adieu à mon ancienne vie. Je ne dois plus penser à ce que je fus avant et cela me rend nostalgique et mélancolique. Ce sont les traits que l'on perçoit en premier chez moi. Le regard rivé sur l'horizon, triste et muni d'une humanité, mais aussi d'une part de froideur qui parfois me rend cinglant.
Aujourd'hui, j'suis le gars silencieux, celui dont les silences effraient, mais qui séduit de par son regard. Même maintenant, j'ai toujours du succès envers la gente féminine. Le musicien mélancolique, c'est cliché, mais ça fonctionne toujours autant.
Livia est derrière moi, mais je ne l'ai pas oublié. A-t-elle gardé notre enfant ? J'en sais rien. Ma famille va-t-elle bien ? Aucune idée. J'ai des tas d'interrogations qui me rongent, mais trouver les réponses me fait bien plus peur encore. Oui, on peut être un vampire et ressentir la crainte. Le genre qu'on ne montre pas pour garder un certain contrôle, mais que l'on possède tout de même.
Voilà, à présent, vous connaissez ma vie. J'suis un dégénéré de 4 ans. Un bébé pour certain. J'garde le contrôle pour le moment, mais vais-je le garder longtemps ? J'crois que les vampires de mon type, reprennent vie avec un tas de questions qui malheureusement restent sans réponse pour le moment. Sans doute parce que nous tuer avant même que l'on existe réellement ne nous a pas permis d'étudier au mieux notre comportement. Tous ne finissent pas bien, mon espoir, c'est de défier toutes les probabilités.
Je crois que le fait de toujours croire en Dieu et d'imaginer les miens vivre une belle vie me permet de mieux supporter ma propre existence. J'imagine mon jeune frère entrain d'étudier, de faire ce qu'il aime. J'imagine Livia toujours aussi belle, mère et heureuse. Je ne veux pas que ma mort soit signe de tristesse, je ne l'ai jamais voulu.
Est-ce que j'ai pris le temps d'aller les voir une dernière fois ? Cette question taraude votre esprit n'est-ce pas ?
Je vais vous répondre. Non. Parce que je savais par avance que les voir m'aurait rendu fou de chagrin. J'étais à peine né, faible et instable dans un contrôle précaire. Je préfère être dans le doute que dans une folie dévastatrice. Je ne regrette pas mes choix. J'ai eu le choix de choisir de sauver mon frère, tout comme j'ai pris le choix de mettre en avant ma petite-amie et notre enfant.
Je tente de vivre avec le sourire de mes souvenirs, mais cela ne m'empêche pas d'y penser et de souffrir. D'un côté, ça me rassure, c'est vrai ! J'suis toujours humain. Ressentir quelque chose, c'est que je n'ai pas perdu l'essentiel.
Cet essentiel qu'aurait souhaité me faire perdre mon créateur. Victorieux est celui qui continue de vivre dans sa douleur. Tandis que la défaite va à celui qui meurt dans son besoin de faire mal aux autres.
J'ai tendu ma joue gauche puis la droite et à présent, je me suis relevé. J'suis pas seul, c'est déjà ça. J'ai un guide et quelques amis. Des vampires et des humains.
Qui aurait cru cela un jour ?
Pas moi...