Confidences sur un échiquier [Araël/Gabriel]

Je ne savais plus combien de semaines j’étais parti d’Haïma, mais s’il y avait bien une chose que je pouvais dire, c’était que ça faisait du bien de revenir à la maison. Cette île était mon chez-moi, terre adoptive, famille royale adoptive, mais je n’en avais cure. Haïma et la famille Lightwood étaient ce pourquoi je me battais et pourquoi je me battrais jusqu’à la mort. J’avais un grand respect pour Araël, mon Empereur, au point où il devait être la seule personne avec laquelle j’avais autant de politesse. J’étais peut-être français, mais j’étais ce qu’on pouvait appeler de mal-élevé, de malpoli. Je n’avais rien d’un gentleman, au point même de me demander comment Aiyana faisait-elle pour me supporter. Mais ne la faisons pas venir trop vite dans la discussion. Je devais avant tout affronter son père d’adoption.

Marchant d’un pas décidé, je quittais les quais discrètement, ayant pris pour navire un bâtiment australien - je n’étais pourtant pas téméraire ou fou. J’avais l’air d’un vrai marin avec ma barbe de plusieurs semaines et mes vêtements négligés. Je n’avais pas rencontré de douche depuis des lustres, ça accentuait encore plus le costume. J’observais sans vraiment faire attention les rues de la ville, de cette cité, cherchant les différences comme dans un jeu silencieux. Le palais n’avait pas changé : toujours aussi incroyable, splendide, majestueux. J’espérais juste ne rien interrompre d’urgent. Je n’avais aucune nouvelle des derniers événements après tout.

Je passais les gardes après avoir donné mon identité, chose que je fis à nouveau lorsque je croisais la route d’un majordome. Il me fit patienter dans un petit salon - aussi petit que pouvait être un salon royal avec ses canapés, fauteuils, tableaux, tapisseries et sa cheminée. Je posais négligemment mon sac contre un mur, observant la pièce, cherchant par réflexe toute potentielle menace. Ce n’était pas parce que j’étais « à la maison » qu’un ennemi ne se cachait pas dans l’ombre, prêt à attaquer à la première opportunité. J’eus tout juste le temps de faire trois tours de la pièce que la porte s’ouvrit à nouveau. Je posais le genou à tête, m’inclinant devant l’Empereur.

« Empereur, déclarai-je solennellement. Merci de bien vouloir me recevoir. »

Jolie formule de politesse, mais la porte était encore ouverte par le domestique. Même fermée, si un vampire avait décidé d’écouter, il n’aurait aucune difficulté pour voir que j’allais rapidement parler sans pincette au chef Lightwood, mais peu importait. J’me redressais une fois qu’il m’en donna l’autorisation, la porte se fermant enfin.

« Une partie d’échecs ? demandai-je en lui présentant le plateau afin de pouvoir lui faire passer quelques messages subtils sans que quiconque puisse le savoir. »

C'est d'un geste de la main que tu fais taire le conseiller à ta droite. Il te rabâche encore et encore de prendre parti dans un conflit interne qui oppose deux états américains. Après tout les Lightwood viennent d'Amérique et ton conseiller semble penser qu'il est de ton devoir de remettre un peu d'ordre sur ces terres, maintenant que tu es sur Haïma et que tu ne t'occupes plus vraiment de l'Amérique. Plus vraiment, car tu as toujours un œil dessus comme sur tous les autres pays de ce monde cependant ce n'est plus toi qui gère mais bien une famille de confiance qui s'assure, à ta place, que tout se passe bien. Mais ton conseiller est jeune, il est à ton service depuis à peine un mois et il veut bien faire, tu ne lui en veux pas d'oublier parfois que tu as un œil sur tous les pays mais que les familles à leur tête gèrent leur territoire comme ils le veulent. En bref tu le fais taire et tu le remercies d'un petit sourire, avant de te plonger dans de nouvelles lettres que tu as reçu le matin même. Ton apprenti conseiller ne revient pas à la charge, il se tasse dans sa chaise et se fait oublier en te tendant quelques papiers de temps à autre, quand tu as besoin de relire quelque chose.

Ca dure une bonne heure et tu termines à peine la pile de documents de la nuit, qu'un garde vient taper à ton bureau pour te prévenir que Gabriel est rentré. Tu sais aussitôt de qui il parle, ton mouchard errant, ton espion, ton homme de confiance. Tu as confiance en peu de gens dans ce monde mais Gabriel peut se vanter d'avoir tes faveurs. Il a toujours assuré son rôle avec le plus grand sérieux et tu ne peux rien lui reprocher, si ce n'est de partir parfois trop longtemps au point que tu te languisses de sa présence. Tu ordonnes qu'on le fasse patienter dans le petit salon, cette pièce où tu reçois tes proches et où tu te sent si bien. Puis tu prends congé de ton conseiller et tu te rends au salon, accompagné de deux gardes qui entrent dans la pièce avec toi, car ils doivent toujours s'assurer que rien ne représente un danger là où tu poses le pied.

Gabriel te fait une révérence et tu lui adresses un sourire, avant de lui faire signe de se relever. « Laissez nous, messieurs. » Que tu ordonnes à tes gardes, qui disparaissent alors que le domestique ferme la porte du bureau. Enfin seul. « Gabriel, comment vas-tu ? » Que tu lui demandes aussitôt en lui posant une main sur l'épaule, amicale, car tu es vraiment heureux de le retrouver. Il te propose une partie d'échecs et aussitôt tu hoches la tête, trouvant ton chemin jusqu'à la table où l'échiquier vous attend. « Alors, qu'elle nouvelle tu m'apportes ? Outre ce nouveau look qui est assez charmant, je dois l'avouer ! » Tu fais référence à la barbe qu'il affiche ainsi qu'aux vêtements, qui n'ont rien de protocolaire. Mais ça ne te dérange pas, bien au contraire. Tu aimes son naturel et sa franchise.

Je restais respectueux, plus ou moins dans le protocole, lorsqu’il y avait un ou deux spectateurs. Cependant, je ne pouvais que bénir Araël de chasser à la première occasion les importuns pour que je puisse oublier tout geste protocolaire que je doutais, de toute façon, de faire correctement tellement ça m’ennuyait. J’admirais Araël, j’avais de l’affection pour lui, il était mon Empereur, ça devait suffire, non ? Ah ! Et il était mon ami, mon meilleur ami quelque part, en fait. Mince… L’annonce n’allait être que plus dur… On va plutôt commencer par la politique. Oui. C’est mieux. Les semaines en mer m'avait brouillé l'esprit. Sûrement l'air marin.

« Ca va, merci. Et toi mon ami ? lui demandai-je en posant une main amicale sur son épaule pour lui. »

Je ne pouvais pas nier la relation privilégiée avec lui. Il était tout de même l’Empereur et je pouvais me vanter d’être son ami - chose que je n’avais jamais fait en un certain nombre de siècles de loyauté. Cette dernière n’était vraiment pas à remettre en doute.
Je riais à l’évocation de mon nouveau look. En effet, c’était assez atypique. Je n’avais pas porté la barbe depuis ma servitude à la France et je devais avouer que ça me faisait étrange.

« J’essaie de costume de pirate pour une éventuelle fête au Heaven, répliquai-je en m’installant face à la table de stratégie, commençant une partie. Ca me va bien ? »

Les secrets étaient déjà sur le tapis. Le fait que je dise que j’étais un pirate faisait clairement référence au fait que j’étais venu par bateau, il fallait que je continue sur cette voie pour lui en dire plus.

« Je pensais jouer un pirate qui aurait pour reventes principales l’or et le fer, des matières premières parfois difficiles à trouver et encore plus à la revente, car le maître-trafiquant serait diaboliquement dangereux pour ma vie. J’ai peut-être trop d’imagination, non ? »

Je venais juste de dire que j’étais revenu grâce à un navire australien, pas n’importe lequel, qu’il y avait plusieurs australiens sur Haïma par conséquent et que le Roi d’Australie n’allait pas tarder à montrer le bout de son nez. Bien entendu, c’était ce que je voulais lui faire passer comme message. Aussi, je lui demandais implicitement s’il avait compris ou si je devais lui redire quelque chose : j’ai trop d’imagination signifiait que tout était ok tandis que l’inverse signifiait qu’il fallait reformuler.

« En tant que pirate, j’ai plusieurs idées pour m’amuser d’ailleurs. En avez-vous ? »

En clair, j’avais plusieurs hypothèses quant à leur destination, mais rien de sûr puisque j’avais dû avant tout m’éclipser avant qu’on pense à me dire au revoir et qu’on grille ma couverture. Peut-être que lui-même avait déjà des idées sur la question. Je déplaçais un cavalier après qu’il ait joué.

Tu es heureux de retrouver Gabriel qui est un de tes proches amis. Sans doute l'un des plus proches même, presque identique avec Hélios si ce n'est qu'avec ce dernier vous partagez le poids des années et des batailles, aussi. Vous avez fait la guerre ensemble pendant longtemps et il est évident que cela rapproche deux personnes. Et pourtant Gabriel a su s'imposer auprès de toi avec le temps, s'assurant une place d'ami, d'homme de confiance et presque de favoris dans ce palais qui voit défiler beaucoup de monde. Ce palais que tu adores et pourtant, qui est le berceau du meurtre de ta sœur. Ce palais que tu connais mieux que ta poche et qui n'a plus ta confiance, cependant. C'est étrange, car il y a peu de gens envers qui tu oses te tourner pour être seulement toi même, t'accorder une seconde de tranquillité pour souffler. Il y a peu de gens mais Gabriel est un de ceux là. Tu pourrais lui confier ta vie les yeux fermés, que tu es certain qu'il ne te décevrait pas. Jamais. « Ca va merci. » Que tu lui réponds avec un sourire, avant de vous retrouver dans un coin tranquille, loin des soldats. Pas qu'ils te dérangent simplement tu aimes, lorsque tu es avec tes proches, discuter comme si rien n'était sans avoir l'impression qu'on vous écoute.

« Ca te va bien seulement, taille là un peu. » Que tu dis en avançant ta main pour toucher sa barbe du bout des doigts avant de rire un peu. Mais il reste très imposant, malgré son air d'homme de cro-magnon que beaucoup trouveraient déplacé en ta présence. Toi, tu t'en moques un peu. Ca ne te dérange pas et puis tu as appris à ne pas juger quelqu'un à sa simple apparence. Enfin, il revient d'un long voyage et sa première action est de venir te faire son rapport, comme pourrais-tu te permettre de râler sur sa tenue ? Tu te penches sur l’échiquier tout en lui jetant des regards de temps en temps, hochant la tête lorsqu'il dit quelque chose de pertinent. « Trop d'imagination ? Non. Plus ça semble énorme et plus ça passe. Étrangement d'ailleurs, les meilleurs mensonges sont les plus travaillés ! » Pas que tu sois un maître menteur mais tout de même avec ton âge tu as un certain savoir faire à présent. Tu déplaces un pion, avant de l'observer qui en fait de même avec son cavalier. « Pas du tout, j'écoute les tiennes. Je ne doute pas qu'elles seront parfaites et puis... C'est ta mission, tu dois te sentir à l'aise dans ton rôle. » Tu joues encore après lui, avant de relever les yeux pour l'observer. « Ou alors... Tu parles en énigme et ça expliquerait pourquoi je ne comprends pas tout ce que tu me dis. » Que tu fais remarquer avant de rire, attendant d'en savoir d'avantage.

Même si Araël était mon Empereur, je pouvais affirmer qu'il était mon ami, mon meilleur ami même – Malaki étant un frère pour moi – et je faisais toujours attention aux conseils que mes amis pouvaient me donner. Il était assez rare qu'il me conseille niveau esthétique, mais Malaki avait dû avoir son influence de ce côté – et j'étais assez mauvais Ô grand désespoir de mon frère qui voulait me faire porter des couleurs autres que le bleu, le blanc, le noir et le gris. J'avais peut-être une chemise bordeaux quelque part, mais c'était sûrement un cadeau de Malaki qu'un achat volontaire de ma part.

Quoi qu'il en soit, je ne pus que rire avec Araël lorsqu'il me conseilla de tailler cette barbe, le laissant me toucher ma mâchoire. Je ne m'étais pas regardé dans un miroir depuis des semaines, ça expliquait pas mal de choses.
La partie d'échecs débuta et je me mis à faire mon rapport, sans pour autant être clair. Après tout, n'importe qui pouvait nous entendre et il fallait bien que je trouve des subterfuges, non ? Je devais avouer que jouer aux échecs et en même temps me concentrer sur cette histoire de costume étaient particulièrement éprouvants, mais c'était nécessaire. Je n'avais pas envie de me faire griller par le premier vampire qui passait et qui allait coller son oreille contre l'une des portes.
Tout avait l'air d'aller bien jusqu'au moment où je compris qu'Araël n'avait strictement rien compris de ce que je venais de raconter. Je m'arrêtais dans mon geste, mon regard rivé sur son visage.

« T'es sérieux là ? »

Si j'avais un air blasé, lui se marrait.

« T'as pas lu le dossier que je t'ai donné avant de partir ? Bon, ok, t'avais sûrement d'autres choses sur le feu, ajoutai-je précipitamment pour ne pas me prendre les foudres. »

Je lâchais un léger soupir avant de me lever. J'ouvris une porte et y glissais ma tête pour dire aux gardes d'aller se prendre une pause plus loin – heureusement qu'ils me connaissaient suffisamment pour savoir que le danger était écarté avec moi. Je fis la même chose de l'autre côté, appréciant le fait d'avoir vraiment un peu d'intimité avec l'Empereur pour lui parler cash – les gardes avaient dû me prendre pour un fou à vouloir me déguiser, mais qu'importe.

« Ce que j'étais en train de t'expliquer, c'était que j'étais revenu par bateau, déclarai-je en reprenant ma place. Et pas n'importe lequel : un bateau australien. Le Roi d'Australie est à Haima et je peux te dire que si nous lui avons flanqué une belle défaite, il est en train de se refaire une belle armée. »

Je déplaçais mon fou, le mettant en appât pour tenter le lui prendre un cavalier.

« Il y a d'autres australiens déjà présent et même installés sur Haima, je pense. Quelque chose se prépare. »

Rien n'était sûr, je n'avais pas passé suffisamment de temps pour en découvrir beaucoup. J'avais déjà appris deux trois choses importantes, mais il aurait fallu le double de semaines pour que je sache, peut-être, plus sur la situation actuelle. C'était déjà suffisamment louche pour que le roi d'Australie se déplace jusqu'ici. Peut-être qu'Araël avait appris quelque chose en mon absence pour que l'on puisse faire des hypothèses.

Tu joues en essayant de comprendre le charabia qu'il te donne. Tu n'arrives pas à comprendre si il te parle piraterie, si il te parle d'une soirée ou si juste il a été éprouvé par son voyage au point de mélanger les mots et les explications. Pourtant tu essayes de suivre, tu te doutes bien qu'il ne te dit rien directement car n'importe qui pourrait se cacher par là, vous entendre et tout répéter à vos amis mais bon, si les espions ne comprennent rien à ce qu'il dit, toi non plus. Sauf qu'il semble le comprendre et à sa façon de te demander si tu es sérieux, tu restes surpris. Et un peu soufflé, car on ne t'avait jamais vraiment parlé comme ça. Et même si tu apprécies Gabriel que tu vois comme un ami proche, ça te laisse toujours étonné quand il fait voler en éclat le protocole pour te parler directement, en face à face. Comme des égaux. Pas que tu n'aimes pas ça juste, tu n'es pas habitué. Vraiment pas habitué. « T'as pas lu le dossier que je t'ai donné avant de partir ? Bon, ok, t'avais sûrement d'autres choses sur le feu » « Je l'ai lu Gabriel mais c'était il y a plusieurs semaines. Et je lis environs 30 dossiers par jour, quand ce n'est pas plus. Il ne faut pas m'en vouloir, j'ai peut-être un grand âge mais ma mémoire n'est pas illimitée non plus. » Dis-tu avec un sourire désolé avant de faire un mouvement sur l'échiquier, déplaçant encore un pion qui se rapproche dangereusement d'une pièce appartenant à l'autre joueur.

Il se lève pour aller congédier les gardes qui, tu le sais, ne vont pas partir trop loin malgré tout. Il font faire le tour dans le hall mais vont rester prudent, que ce soit Gabriel ou pas. Avec les nouvelles mesures de sécurité tes hommes ne vont pas prendre le risque qu'il t'arrive quelque chose. Et même si ta sœur trouve toujours le moyen de leur échapper, ce n'est pas ton cas. Tu as bien conscience qu'ils sont là pour ta sécurité et pas pour t'agacer. « Ce que j'étais en train de t'expliquer, c'était que j'étais revenu par bateau. Et pas n'importe lequel : un bateau australien. Le Roi d'Australie est à Haima et je peux te dire que si nous lui avons flanqué une belle défaite, il est en train de se refaire une belle armée. » « Tu estimes ses effectifs à combien de soldats ? » Que tu demandes, en le voyant faire.

Mais parfois il faut sacrifier un pion pour tenter d'en gagner un. Tu bouges ton cavalier avant de prendre un de ses pions, qu'il a laissé en évidence car sans doute, trop occupé à planifier le coup qu'il allait te faire. « Je sais que Joshua est à Haïma, il est venu me présenter ses hommages avec quelques babioles. Vraiment pas de quoi se vanter... Et bien en dessous de ce dont il est capable. Pour le moment il maintient une paix toute relative mais je sais qu'il n'est pas venu sur l'île pour moi. Il est venu... Sans doute pour rencontrer des gens et se nouer des alliances. » Tu relèves les yeux pour les plonger dans ceux de ton ami, que tu observes une seconde. Tout ceci te fatigue, cet espèce de danger constant est épuisant à la longue. « Il y a d'autres australiens déjà présent et même installés sur Haima, je pense. Quelque chose se prépare. » « Tu te souviens de l'attaque, le soir de l'éclipse ? Ce n'était pas un acte isolé, d'autres dégénérés grouillaient dans les grottes aux alentours. Quelqu'un ou plutôt un groupe de personnes s'amuse à créer des dégénérés pour s'en servir tel une armée. Les espions sont sur le coup mais la tâche est rude car... Je pense que ceux qui sont dans cette histoire sont des gens haut-placés. » Tu prends ton verre de sang, que tu délestes d'une longue gorgée. « Et je pense aussi que ce sont les même qui sont au cœur du complot qui a pris la vie d'Elysium. Nous avons des traîtres sur Haïma et même au palais... Personne n'aurait dû rentrer ce soir là, le palais est trop bien gardé. Mais un garde a baissé sa vigilance et quelqu'un avait préparé toute une opération. Les tueurs n'ont pas hésité, ils sont entrés, ils se sont dirigés vers la chambre de ma sœur et sont repartis sans un bruit, sans une trace. Je ne serais pas étonné d'apprendre que derrière tout cela, se cache un sang-pur haut placé. »

Le protocole et moi, ça faisait deux. Pire, même. C'était un mot qui n'était pas vraiment dans mon vocabulaire. Autant dire que pour l'appliquer, il fallait se lever de bonne heure. Il était difficile aussi d'avoir en tête le protocole avec Araël. Certes, il était mon empereur, mais il était également mon ami. J'étais là en tant qu'espion, mais ça ne changeait rien à mon caractère franc et impoli – les français avaient peut-être des manières, mais j'avais dû les perdre en mer lorsque je suis venu m'installer à Haïma. Enfin, que j'ai prêté serment à l'Empereur plus exactement. Mais là n'était pas la question.
Alors que j'essayais vainement de faire passer des informations discrètement, je compris rapidement que mon supérieur hiérarchique, mon meilleur ami, ne pipait mot. Dans mon franc-parler, j'en oubliais les formules de politesse, chose qui n'était pas choquante lorsque l'on me connaissait, mais il était vrai que j'avais été si spontané que cela pouvait surprendre.

« Désolé, je sais que tu as beaucoup à faire, fis-je alors que je me levais, écoutant sa répartie. Ca y est ! Tu deviens vieux, ta mémoire te fait défaut, ajoutai-je en plaisantant, un sourire en coin sur le visage. »

Même si je savais que les gardes resteraient dans les parages, le fait qu'ils ne soient plus collés à la porte me rassurait. Je pouvais parler plus librement et être moins pris pour un fou.

« Difficile à estimer correctement, avouai-je en me rasseyant. J'ai entendu quelques légions, mais je pense que son armée n'est pas encore arrêtée en terme de soldats. Avec la déculottée qu'il s'est prises, il devrait pourtant y réfléchir un peu plus..., commentai-je presque pour moi-même. Mais je dirais approximativement cinq cents hommes. Peut-être plus, peut-être moins. Je vais essayer d'enquêter sur ce point. »

J'avais entendu parler d'une légion qui avait fait telle chose, une légion qui s'était rendue à tel endroit, mais savoir si c'était à chaque fois la même ou une autre était impossible. Les choses étaient en train de bouger, ça c'était une certitude. Et Araël devait en prendre conscience, surtout avec l'ennemi sur l'île.
Je ne savais plus si je perdais ou si je gagnais à notre partie d'échecs, mais je bougeais mes pions comme si je me plaçais à la place des australiens, exposant mes troupes ou tendant des pièges.

« Je sais que Joshua est à Haïma, il est venu me présenter ses hommages avec quelques babioles. Vraiment pas de quoi se vanter... Et bien en dessous de ce dont il est capable. Pour le moment il maintient une paix toute relative mais je sais qu'il n'est pas venu sur l'île pour moi. Il est venu... Sans doute pour rencontrer des gens et se nouer des alliances.
- Je pourrais essayer de le pister pour voir où il se rend afin de nous donner une idée de ses potentielles alliances. »

C'était peut-être risqué, mais ça serait un atout incroyable ! Nous briserions ainsi les hypothèses les plus folles et nous aurions enfin un peu de concret, chose fondamentale pour se préparer lors d'une guerre.
J'écoutais avec attention le monologue de mon Empereur, plongeant mon regard dans le sien par moment, hochant simplement la tête parfois. C'était à la fois crédible et probable. L'attaque avait montré une foule de dégénérés incroyables. Cela avait demandé du temps, de la patience et une certaine volonté. Il n'y avait pas qu'une attaque de masse, il y avait un avertissement dans cet événement. Je me souvins avoir entendu des bruits de couloir, une ou deux fois, pas plus. Et je ne pouvais me demander si je n'étais pas en train de toucher du bout du doigt quelque chose d'essentiel, de fondamental.

« C'est fort possible... Peut-être même qu'il n'y a pas qu'un sang-pur derrière tout cela. Après tout, les attaques sont assez complexes et longues niveau organisation. »

Et puis, rien que pour l'attaque de l'éclipse, si un sang-pur était dans le coup, seul, quelqu'un aurait remarqué ses régulières absences pour créer des dégénérés. Il avait forcément un complice, un sang noble peut-être, mais même à deux, ça ne me paraissait trop peu.

« Je me demande si les australiens ne sont pas derrière tout ça, fis-je en me concentrant sur les brides de conversations que j'avais surprises durant mon voyage en mer. Bon, je n'ai rien entendu par rapport à l'attaque, mais ça a mentionné une ou deux fois des chevaliers, mais c'est comme si on parlait de soldats, non ? Peut-être qu'il vaudrait mieux revoir les tours des gardes, les faire changer de lieux et que sur chaque poste, il y ait différentes rondes et fonctions, que les choses tournent perpétuellement, tu vois ? Que rien ne soit fixe, mais que rien ne soit laisser au hasard. On ne pourra pas nous prendre par surprise comme je viens de te prendre ton cavalier avec ma tour, terminai-je en faisant le mouvement. Peut-être évaluer le niveau des gardes personnels sur tes proches, sur Malaki, même si je suis avec lui lorsque ce n'est pas toi, sur Aiyana, qui est enceinte, sur Aria, ta sœur, qui est convoitée... »

Je m'arrêtais un instant, repassant dans l'ordre mes énumérations jusqu'à comprendre que je venais de vendre la mèche comme quoi Aiyana était enceinte dans le plus grand des calmes... Et merde.

Il s'excuse pour son petit coup de sang et tu lui fais un geste de la main, afin de lui signaler que ce n'est pas grand chose. C'est vrai, ça arrive à tout le monde de s’emporter un peu et puis il rentre d'un long voyage, il est fatigué et loin de chez lui depuis longtemps. Tu peux, de ce fait, comprendre qu'il soit un peu sur les nerfs. Rien de grave, tu ne veux pas être un de ces monarques qui fait peur à ses sujets au point que ces derniers n'osent plus lui parler de rien. Tu es proches des tiens et Gabriel est un ami, assez pour toi pour oser te parler ainsi. Et puis il te taquine sur ton âge, te faisant rire de plus belle. On pourrait croire qu'avec ton grand âge tu souffrirais de plus que quelques pertes de mémoire mais non, c'est le seul soucis que tu as. Tes souvenirs sont si nombreux qu'ils s'embrouillent parfois et tu as du mal à te souvenir des choses qui ce sont passées il y a peu. Ton cerveau a tant à ranger qu'il a parfois du mal à faire son travail correctement. Cependant tu retiens bien quand il te donne un nombre approximatif de soldats qui servent la couronne Australienne. Tu hoches la tête, notant aussi de te renseigner par le biais de quelques espions qui sauront se montrer discret même en territoire ennemi. Pas que tu n'as pas confiance en Gabriel cependant, tu aimes avoir plusieurs confirmations et puis si vous n'êtes pas certain de la taille de l'armée des Fairchild, avec plusieurs espions l'ayant observé d'eux même, vous pourrez vous faire une fourchette. Une idée, plus ou moins, de ce que Joshua vous prépare. Tu n'es pas dupe, tu sais qu'il va vous faire un sale coup cependant tu ne sais pas quand.

« Je pourrais essayer de le pister pour voir où il se rend afin de nous donner une idée de ses potentielles alliances. » « Non, tout le monde sait que tu es proche de moi. Ton visage est connu... Je dois envoyer un espion plus passe-partout. Je te fais confiance Gabriel mais tu m'es trop précieux pour que je te laisse prendre le moindre risque. » Dis-tu en bougeant un pion toi aussi, avant de relever les yeux pour l'observer. Tu penses ce que tu dis, tu sais que si quelqu'un se doute de quelque chose avec Gabriel pourrait être pris pour cible, en otage voire pire encore et c'est bien une chose que tu refuses. Tu as confiance en lui, tu ne vas pas le mettre en danger alors que d'autres soldats inconnus aux yeux des Fairchild, peut assurer la mission. « Et puis Joshua est malin. Si il te soupçonne il n'hésitera pas à te mettre en danger. » Et tu en veux pas envisager pire. Tu te méfies déjà de Joshua, autant ne pas te montrer plus froid en sa présence que tu ne l'es déjà.

« C'est fort possible... Peut-être même qu'il n'y a pas qu'un sang-pur derrière tout cela. Après tout, les attaques sont assez complexes et longues niveau organisation. » Tu hoches la tête une fois encore, satisfait de voir qu'il n'essaye pas de te faire changer d'avis. Au moins tu n'es pas fou ni paranoïaque pour rien, il y a bien quelque chose de plus gros qu'une simple attaque, qui se prépare sur l'île. « Je me demande si les australiens ne sont pas derrière tout ça » « Je pense qu'ils le sont. » Tu portes déjà des accusations, même si tu n'as pas de preuve encore. Elles ne sauraient tarder, c'est certain mais tu sais déjà que Joshua se jetterait sur la moindre occasion de te nuire, peut importe ce qu'il devrait faire. Tu ne te voiles pas la face, tu sais que si l'on pouvait te tuer alors beaucoup ne se gêneraient pas. Tu prends ton verre pour avaler une gorgée de sang, afin de faire passer ton état de stress qui ne cesse de grimper, à présent que vous parlez de trahison et de tout cela. Ca t'agace, vraiment. « Bon, je n'ai rien entendu par rapport à l'attaque, mais ça a mentionné une ou deux fois des chevaliers, mais c'est comme si on parlait de soldats, non ? Peut-être qu'il vaudrait mieux revoir les tours des gardes, les faire changer de lieux et que sur chaque poste, il y ait différentes rondes et fonctions, que les choses tournent perpétuellement, tu vois ? Que rien ne soit fixe, mais que rien ne soit laisser au hasard. On ne pourra pas nous prendre par surprise comme je viens de te prendre ton cavalier avec ma tour » « Des chevaliers ? Etrange... Ce n'est pas la première fois qu'on me rapporte ça. » Tu baisses les yeux pour remarquer qu'en effet il a détruit ton cavalier. Tu lâches un presque-hoquet de surprise avant de lui lancer un faux regard noir. « Bien joué ! » A ton tour, tu déplaces un pion tout en sachant que pour le moment tu n'as pas l'avantage. « Peut-être évaluer le niveau des gardes personnels sur tes proches, sur Malaki, même si je suis avec lui lorsque ce n'est pas toi, sur Aiyana, qui est enceinte, sur Aria, ta sœur, qui est convoitée... » Tu observes le jeux, avant qu'une lumière s'allume dans ton esprit et que tu relèves les yeux vers lui. « Oui nous allons doubler les tours de gardes et les gardes personnelles. Mais attend... Aiyanna est enceinte ? De qui ? Elle aurait pu me le dire... » Que tu laisses échapper, sans comprendre pour le moment pourquoi elle a jouée la carte du secret alors que vous êtes si proches.

Araël avait toujours été bon avec moi. Il me laissait lui parler comme cela venait et il me pardonnait plus que je ne le méritais – à mon humble avis, mais ce n'était pas pour me déplaire non plus. C'était l'une des raisons qui faisait que je lui étais loyal et que je le resterais jusqu'à ce que je meurs. J'étais un soldat, un espion, mais j'avais conscience que la mort me guettait. Je faisais un métier dangereux, mon devoir était dangereux, mais pour rien au monde je ne le changerais. J'étais fait pour ça, j'étais fait pour servir la Couronne et rien ni personne ne pourra changer ce fait.
Ce fut pour cette raison que je fronçais les sourcils à sa réponse, me demandant s'il ne voulait pas me retirer de ce coup. En tant que gardien, je me devais de lui obéir, quel que soit son ordre et quel que soit mon envie – envie qui n'avait aucun poids d'ailleurs. Cela me touchait que mon Empereur me donne de l'importance, que je lui sois précieux, c'était signe que je faisais mon job et qu'il était satisfait de mes résultats. Il ne pouvait pas me faire plus grand honneur.

« Tu ne veux plus de moi dans les rues ? demandai-je en plongeant mon regard dans le sien, déplaçant un pion sans tenir compte que je le menais à l’abattoir. Tu sais qu'un ordre de toi et je l'exécuterai, mais je te suis utile pour te renseigner. Au Diable ce petit Roi, il ne me fait nullement peur et si je me sens menacé d'une quelle conque façon, je me défendrais, sois en sûr. »

Roi ou pas, si Joshua s'en prenait à moi, je n'allais pas me laisser faire. Ma loyauté revenait à Araël et je me battrais pour Haïma. Si le Roi d'Australie faisait un pas vers moi, non seulement ce n'était pas logique, mais ça serait suicidaire. Je n'étais qu'un gardien, mais j'étais suffisamment proche de l'Empereur pour que cet acte soit mal vu.

La conversation dévia sur la stratégie des australiens, laissant beaucoup trop de questions sans réponses. Je me devais de continuer mes investigations pour en apprendre plus. Les informations tombaient au compte-goutte et elles n'étaient pas nombreuses, loin de là. Plusieurs semaines et je n'avais pas autant d'informations que cela. Ils étaient prudents et ça ne les rendait que plus suspects. J'en vins à parler des gardes, d'adapter nos troupes afin de ne pas avoir un nouvel assassinat – je m'en voudrais éternellement.
Ce fut à ce moment-là que je lâchais la bombe, me rendant compte trop tard qu'une fois de plus, j'avais manqué de tact, mais que je n'avais pas été en douceur avec cette information. Aiyana. Enceinte. Je lâchais un soupir qui se voulait discret, plaçant une main sur mes yeux fermés, me donnant du courage pour la suite. Je devais assumer. J'assumais même. C'était le moment de continuer à porter ses testicules et d'aller jusqu'au bout, quitte à me prendre une dérouillée pour avoir mis enceinte la fille adoptive de l'Empereur.

« Bon, ce n'était pas comme ça que j'aurais dû te l'annoncer, fis-je après m'être raclé la gorge, relevé la tête et plongé mon regard dans le sien. Elle est enceinte... de moi... Je voulais t'en parler d'abord pour te demander pardon et... et si tu suggères que la tradition soit respectée... je l'épouserais. »

Nous n'étions plus dans ce siècle où le devoir exigeait d'épouser la fille avec qui on pratiquait le coït, mais j'avais les traditions ancrées en moi comme mes os. Il m'était souvent difficile de m'en détacher avec l'évolution des mœurs. Un siècle pouvait passer si vite lorsqu'on était vampire.
J'observais Araël, attendant sa réaction et sa décision. J'avais toujours été discret concernant mes conquêtes, je ne doutais pas que cela pouvait surprendre. Cela me surprenait encore, mais je ne me posais pas encore de véritables questions concernant ma relation avec Aiyana. Elle m'avait avoué ses sentiments, alors que moi je lui disais que je partais pendant plusieurs semaines en mission. Ça résumait parfaitement où nous en étions puisque j'étais venu au Palais avant de lui rendre visite. Mon devoir avant tout.