Où se cache la vraie vie ? Fanny/Nevae

Tu sais pas quelle heure il est, ayant perdu toute notion du temps après avoir été à l'heure pour ton rendez-vous. Tu sais te faire ponctuelle quand il le faut, mais le reste du temps tu laisses ton horloge interne faire sa vie tant que ça n'interfère pas avec ton travail. Un seul client aujourd'hui – on pourrait presque parler de jour creux si tu tenais la compta, mais c'est pas le cas. Toi tu serais plutôt la marchandise, ce qui est pourtant loin de te déplaire – c'est sûrement pour ça qu'on te dit aussi parfaite dans ce ce que tu fais. Tu aimes plaire et te sentir désirée, or tu n'as pas de mal à discerner que c'est le cas dans le regard plein de luxure de ceux qui viennent se perdre dans tes draps. A croire que ça te suffit pour enfiler tous les masques que le client souhaite pour un peu d'argent – c'est le Seven qui encaisse, mais comme tu n'y manques de rien tu considères que c'est aussi ton argent. Alors aujourd'hui encore tu as fini dans une des chambres réservées aux clients de la maison close, avec l'un d'eux qui ne voulait pas de ton sang mais seulement ton corps. Un de ces hommes aux envies particulières, le prénom notamment, à croire que lorsqu'ils sont incapables de réaliser leurs fantasmes ce sont vers des filles de joie qu'ils se tournent. Pas que cela te dérange cela dit, après tout c'est comme ça que tourne le business, et changer de nom rend encore plus aisée l'habitude que tu as à prendre tout cela pour un jeu. Une soirée où tu n'es pas toi, où tu es quelqu'un d'autre, où tu es la satisfaction du client pour récupérer son argent – c'est pas si compliqué comme travail.

T'es pas la seule à faire cela au Seven, pourtant tu ne te gênes pas pour croire que tu es la plus douée. Tu sais que certaines exercent depuis plus longtemps que toi, mais cela ne change rien à tes yeux : si tu te fais appeler la reine et la favorite, ce n'est pas sans raison. Alors t'as cet orgueil qui t'fait sûrement gonfler les chevilles et prendre le melon, assez pour que tu regardes sans mal le reste du monde de haut. Et bien que tu saches faire preuve de gentillesse pour les petits nouveaux qui te demandent de l'aide ou des conseils pour satisfaire aux mieux les désirs des clients comme de vos maîtres, il y en a que tu ne parviens pas à supporter. Comme ceux qui ne font rien de leur journée, parce que tu n'aimes pas les inactifs que tu considères comme des boulets. Sans parler de l'angoisse – que tu refuses souvent de t'avouer – qu'ils soient des menaces pour ton foyer et risquent de le mettre en danger. Voilà pourquoi tu poses un œil méfiant sur ceux que tu n'estimes pas dignes de confiance, bien que tu ne sois pas mauvaise pour sourire et le cacher – tu t'y forces rarement, cependant, car tu considères qu'ils ne méritent pas cet effort.

Fanny elle fait partie de ces esclaves-là, ceux qui n'ont d'autre intérêt que la figuration. T'as l'impression qu'elle n'est utile qu'à Oksana, disparaissant parfois avec elle pour faire tu n'sais quoi. Tu t'en fous un peu, de ce qu'elles font, considérant – en toute objectivité – que si elle ne sert qu'à cette vampire-là alors elle ne vaut pas grand chose. Tu l'as bien vue quelques fois avec un balai à la main, mais c'est loin d'être suffisant à tes yeux. C'est pas en jouant la femme de ménage qu'elle va rapporter de l'argent au Seven, bien que certains diraient que la maison close attirerait bien moins de monde si elle n'était jamais nettoyer. Qu'importe, t'es trop méfiante sans doute pour être satisfaite par ce simple rôle, supposant qu'un jour elle fera autre chose. T'aurais pu supposer qu'ils attendent qu'elle mûrisse encore un peu pour l'envoyer auprès des clients, mais l'fait est qu'elle doit avoir à peu près le même âge que toi – et toi t'as commencé il y a trois ans. Alors elle n'a juste pas d'intérêt, bien qu'à cet instant tu t'en soucies peu. Parce que t'as récupéré une bouteille de jus de fruits dans la cuisine, et qu'à présent tu te balades dans les couloirs en direction de ta chambre, t'attendant peut-être à trouver quelque chose d'intéressant en chemin. Peut-être Milo – ce qui serait parfait – ou ton roi, sauf qu'à la place c'est une désagréable rencontre que tu fais.

Tu sais pas trop ce que tu regardais avant la collision, peut-être le dernier tableau qu'a accroché Oksana dans ce couloir-ci, mais à présent tu as les yeux rivés sur la responsable. Fanny, évidemment, cible de ton regard furibond parce que sur ton chemisier bleu s'est retrouvé une partie de ton breuvage et que c'était pas prévu ça. Encore heureux que tu n'allais pas rejoindre un client, sinon la blonde aurait senti le reste du liquide couler dans ses cheveux – intentionnellement. Au lieu de ça tu te contentes d'être sèche et dédaigneuse, comme ça te semble follement naturellement avec elle. « En plus de n'servir à rien tu ne sais pas regarder devant toi quand tu marches, c'est dingue. » Tu pestes, tentant d'essuyer un peu ton vêtement avec ta main libre parce que tu n'as pas de mouchoir. En plus le jus d'orange ça tâche, ça sent fort, ça colle, voilà tu as les nerfs. « Tu fais le ménage toi, non ? Que tu aies au moins un intérêt pour l'Seven. » Tu n'attends même pas quelle réponde pour enchaîner. « Tu pourrais faire la lessive aussi. Comme ça tu mériterais peut-être qu'on te garde. »